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Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.

02 May

Il fait bleu sous les tombes de Caroline Valentiny

Publié par Sansfin

Il fait bleu sous les tombes de Caroline Valentiny

Le premier roman de Caroline Valentiny est une beauté à l’état pur, c’est l’histoire d’une famille brisée par le suicide d'Alexis leur fils de vingt ans où il ne reste que des fragments de souvenirs. Quand un enfant se donne la mort, les mots sont trop lourds à porter pour mesurer le désespoir qui dévore tout. Chaque personnage apprivoise sa survie différemment, chacun cherche à éteindre l’incendie intérieur que la mort a provoqué. Il y a Pierre, le père qui a besoin de rester en mouvement pour combattre cette peine insoutenable. Noémie, la petite sœur de cinq ans rend ludique sa peine et la colore de ses idées pour réveiller l’âme de son frère. Madeleine, la mère a le souffle coupé elle se plonge dans les souvenirs avec son fils de sa naissance à aujourd’hui. Tous ces trésors qui resteront pour toujours comme des porte-bonheur pour éviter de se consumer. Des parents qui se noient dans la culpabilité en repensant à chacune de leurs actions et de leurs paroles manquées ou démesurées. Il n’y aura plus de possibilités de partage, de se toucher, tout se meurt et toutes les choses n’existeront que dans la mémoire. La mort fige tout en une fraction de seconde, ceux qui restent ont leurs vies percutées, détruites en pleine conscience, c’est une faillite émotionnelle, c’est un abandon irréversible et inconsolable.                                                                         De sa tombe, la voix d’Alexis invente et écorche l’espoir de revivre en écoutant le monde qu’il vient de quitter, en écoutant le bruit des pas de ses proches comme on écoute une bande-son en boucle. De son monde devenu à l’envers, Alexis ranime le flambeau des questions existentielles en nous ouvrant les portes de l’éternité. Il y a beaucoup de spiritualité qui naît de leur souffrance, la mère marche sur les pas de son fils pour parler à des personnes qui l’ont côtoyé pour trouver des réponses à ses incompréhensions et sa détresse. Elle marche au milieu de la nature, suspendue par l’hémorragie d’une douleur sans fin. Madeleine essaie de recomposer le puzzle que son fils a défait en sautant dans le vide. Elle espère retrouver dans la nature une télépathie avec Alexis. On est porté par un monologue intérieur de chaque personnage. Comment peut-on trouver la force pour ne pas être aspiré par le courant de pensée et resté figé dans la saison d’hiver ?

Alexis était passionné, intelligent, cultivé, solitaire, il voulait tout expérimenter, tout comprendre, il avait des intuitions fulgurantes qui le submergé et rendaient sa fragilité à fleur de peau. Il aspirait sans cesse à vouloir découvrir, exploré l’univers et comprendre le sens de l’existence. Il avait des torrents d’idées et de désirs qui l’attisait par son tempérament impétueux. Il avait la sensation d’être incompris comme détaché d’un monde où il ne trouvait pas sa place, un monde inconfortable où les émotions fortes continuaient de le meurtrir. Mais est- ce la seule raison pour qu’il fasse le choix de se suicider ? A - t-il était tellement enivré par la beauté et l'amertume que ça l’a submergé au point d’être éblouis par la lumière de la vie ? Quelle est cette frontière entre la vie et la mort ? Comment accepter le choix de leur fils ? Comment faire son deuil, se reconstruire et rebâtir des buts après un tel drame ? Comment accepter de continuer à vivre avec l’absence abyssale d'Alexis ? Peut-on apprendre à revivre en gardant le meilleur et en se disant que quelque part Alexis les regarde ?

Les mots de Caroline Valentiny sont des frissons, suspendus au-dessus du néant, ils tremblent à la lecture, ils provoquent une émotion infinie et troublante. L’écriture de l’auteure est sublimement poétique, d'une subtilité impressionnante, d’une délicatesse violente, on est épris par les pages qui se tournent comme des photographies de l’intérieur.

C'est un livre sur l'inconstance de l’existence, sur la mort, sur le deuil, sur la résilience, sur les valeurs de ce qui anime une vie, sur les secrets enfouis, sur la mesure a adopté entre l'équilibre et le déséquilibre.Des personnages très attachants, très touchants qui nous marquent comme une empreinte. Quand on ferme le livre, on a cette sensation vertigineuse et à la fois lumineuse que nous a laissés la grâce d’Alexis.

Un premier roman magnifique, prometteur et tellement bouleversant. Ne le manquez pas, cette littérature est jubilatoire.

 

 

Extraits du roman :

 

"Quand votre enfant meurt, peu importe son âge, et même s’il était devenu presque un homme et que sa force vous émerveillait quand il vous serrait dans ses bras, il redevient le tout petit sur lequel vous étiez censée veiller, et vous savez soudain que vous avez failli, que le protéger était ce que vous auriez dû faire, que c’était même la seule chose que la vie exigeait vraiment de vous, vous, sa mère."

 

"Jour et nuit, elle réfléchissait. Elle tournait et retournait l’énigme dans sa tête, tournait et retournait les yeux de son fils sur l’écran intérieur, le son de sa voix, ses manières d’être. Elle se demandait comment c’était possible. Comment, mais comment donc était-ce possible ? Qu’il ait mis fin à ses jours. Les mères doivent sentir ces choses-là. Elle repassait le film des derniers mois. S’arrêtait sur chaque détail, chaque bribe de conversation que sa mémoire voulait bien lui restituer. Se pouvait-il qu’il l’eût bernée sur toute la ligne ? Était-elle à ce point idiote ? Qu’en était-il des rêves, des projets d’avenir de son fils ? Ces derniers temps, c’est vrai, quelque chose d’intense s’était emparé de lui. Il était devenu secret et même un peu fuyant. Madeleine avait imaginé qu’il prenait ses distances, qu’il osait peut-être un début d’envol. Elle avait longtemps espéré le voir enfin émerger d’une adolescence timide et sensible. Aurait-il simplement menti ? Et pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Elle croyait l’avoir toujours écouté, encouragé, n’avoir voulu que son bonheur ; si quelque chose clochait à ce point dans sa vie, ne lui en aurait-il pas parlé ? Mais qu’en savait-elle, après tout ? Comment pouvait-elle être sûre ? Elle devait être sûre. Elle devait être sûre, ou elle perdrait la raison."

 

"Arrivée près d’Alexis, elle bavardait, s’occupait, arrosait les fleurs. Pierre ne savait pas où regarder ni comment se tenir. Il était envahi d’images. Son fils qui avait tout pour réussir, pour qui il avait tant sacrifié. Alexis enfant, enthousiaste, rieur. Alexis au violoncelle. Alexis en vacances. Alexis ébouriffé devant son bol de céréales. Alexis fier comme un paon sur son vélo à deux roues. Et puis Alexis dans la laine de son adolescence. Alexis qui peu à peu s’était mis en veilleuse. Alexis à quinze ans, à seize ans, qui avait commencé à attendre que quelque chose advienne. Il attendait sur les bancs de l’école, il attendait à l’abribus, il attendait sous la douche, il attendait devant la télé. À la sortie de l’enfance il avait sauté à pieds joints dans une espèce d’ouate liquide, et rien, ensuite, n’avait été à même de le tirer de sa langueur. Il s’était subrepticement englué en mode stand-by, épargne d’énergie maximale, linge accumulé dans sa chambre, effort surhumain pour aider sa mère à dresser la table, horreur des petits matins et de tout investissement logistique. À l’exception de quelques escapades avec Juliette et des après-midi de randonnée ( où, soudain, son short et ses bottines de marche le rendaient à ses dix ans), il avait franchi une zone de léthargie physique que Pierre n’avait pas vue venir malgré les nombreux récits de grands adolescents lymphatiques vissés à leur ordinateur. Peut-être sa vitalité corporelle était-elle inversement proportionnelle à la cadence survoltée des turbines de son esprit. Mais ce moteur-là, s’il carburait vite, tournait en silence, et quand son père le trouvait couché sur le canapé après sa journée de travail, il ne disait pas : Mais comme tu penses bien, mon fils, mais plutôt : Que fais-tu encore à traîner à cette heure ? Ce qui avait tendance, eh bien oui, à générer certains conflits. Conflits qu’à ce moment-là, debout devant la tombe de son fils. Pierre tentait de chasser de son esprit en dansant d’un pied sur l’autre et en martelant le sol en cadence."

 

"Que faisaient-ils là-haut, si bas, dans ce monde à l’envers, à s’effilocher en filaments loqueteux, en lambeaux de mémoire, à perdre peu à peu le fil de son histoire ? Alexis regardait le lent passage au loin ; c’était l’enfance  et c’était le premier matin du monde, chaque jour, sous le ciel rosé de l’hiver ; c’était une médaille de ski sur une portée de violoncelle, c’était le parfum de sa mère et le rire de Juliette, c’était sa petite sœur endormie contre lui et le chignon de sa grand-mère, c’était le violoncelle encore et l’envol de ses mains, c’était une odeur d’eau chlorée et la rugosité d’une serviette sur ses cheveux mouillés, c’était une marche au bord de l’eau bleutée du lac en Suisse, les chèvres de son grand-père, l’odeur des bois et la première gorgée de bière, c’était sa solitude même parmi ses amis, les durillons sur ses doigts, la fierté perdue dans le regard de son père. C’était tout cela mais c’était le fil dissous, effilé dans le noir, c’était tout cela mais depuis le cœur de la terre, là où on se résigne, paupières cousues, à laisser s’écouler des souvenirs comme des brisures de neige, écalés, hors d’atteinte."

 

"Elle se prit à regarder les passants, leurs pas pressés. Le mouvement était incessant. Vers où allaient-ils ? Le savaient-ils qu’ils n’allaient nulle part ? Que tous leurs efforts à vivre, tous leurs sursauts de peine et de joie ne menaient qu’au même tombeau désert ? Comment rentrer, se demandait-elle, comment reprendre les gestes d’avant, border Noémie, se coucher près de Pierre, quand l’horizon était défait, quand la maison s’était vidée ? "

 

 

 

 

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