Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.

11 Jan

Disaster Falls de Stéphane Gerson

Publié par Sansfin

Disaster Falls de Stéphane Gerson

"Disaster Falls", c'est le cri poignant d'un père sur la mort tragique de son fils lors d'une escapade en kayak sur la rivière Green River entre l'Utah et le Colorado. C'est la vie qui se fige, c'est un sentiment d'inertie insondable quand le corps inanimé d'Owen est retrouvé. Stéphane Gerson chronique ce chagrin inconsolable à travers une enquête subtile et didactique. Il nous emporte dans ce drame avec une écriture sensible, intelligente et éblouissante. C'est le combat d'un couple et d'un fils, Julian orphelin d'Owen qui se confronte à tout ce qui se consume. Ce sont des manques, des remises en questions, de la culpabilité, une prise de conscience sans pouvoir revenir en arrière.                                                                                                                                          

Comment survivre après cette tragédie sans sombrer dans le vide ? 

 

Les pages ondulent comme des vagues chaotiques qui battent dans le ventre et dans la tête. C'est la reconstruction d'une famille qui s'imbrique dans des faits historiques, des références culturelles au fil des décennies. C'est l'écriture aiguisée d'un père qui s'impose à travers des pensées, des réflexions profondes et des pérégrinations spirituelles. C'est un combat intérieur face aux voix bienveillantes des gens qui ont connu Owen ou la morsure de la mort. Les mots sont interrogatifs, introspectifs comme des larmes qui recouvrent la pureté des plaisirs ordinaires. Stéphane Gerson dépeint avec son talent d'historien la mémoire des souvenirs, la mémoire des douleurs pour redonner vie à ce qu'était Owen. Un trio familial qui essaie d'apprivoiser la force par un courage admirable face à l'agonie de l'absence et du temps qui passe.                La dernière phase de ce récit s'ouvre sur une autre vision de la mort, deux ans après la mort soudaine et injuste d'Owen, il y a celle du père de Stéphane Gerson qui fait le choix de l'euthanasie. Il raconte  les blessures de son existence entre ses deux disparus.   

 

Stéphane Gerson rend un sublime hommage à son fils Owen. C'est la radiographie du deuil intime entre la souffrance et l'instinct de survie. C'est une méditation incandescente, sensitive où la maturité émotionnelle exulte malgré la catastrophe qui tombe. En fermant le livre, on pense à cette famille très attachante et à ces deux êtres qui continue de briller ici et ailleurs. Un coup de coeur à ne surtout pas manquer.

 

 

Extraits du livre;

 

"En vérité, cela se passe ainsi. Vous vous réveillez un matin sans savoir que la journée va tourner au désastre. Vous faîtes ce qu'on attends de vous. Vous préparez chaque étape, vous posez les questions appropriées, vous envisagez les situations sous tous les angles. Vous vous comportez en parent responsable - et malgré cela la situation dérape, elle vous échappe, un enfant de huit ans vous échappe et meurt. La destinée n'a rien à voir là- dedans. Cette mort est l'aboutissement d'une série de décisions, grandes et petites, des pas franchis ou non, de résolutions prises il y a trop longtemps pour laisser de trace. Ce processus de sédimentation, aussi imperceptible que celui qui engendra les canyons de l'Ouest américain, paraît naturel et éternel. Les choses auraient pu se terminer autrement, mais ce ne fut pas le cas, un enfant vous a échappé. Autour de vous, des gens disent que rien n'égale votre malheur, qu'ils ne peuvent imaginer ce qui vous arrive. En réalité, ils ne peuvent imaginer qu'un tel malheur puisse leur arriver."                                             

 

"On vous dit que vous vivez le pire cauchemar. Vous incarnez désormais ce cauchemar qui de nos jours hante tous les parents. Dans un monde, qui promet aux enfants sécurité et bonheur, cette mort ne peut-être qu'un échec personnel, un crime contre la civilisation, un outrage à nos aspirations collectives. Les générations précédentes ne pouvaient éviter de telle fin de vie ; aujourd'hui, elles tiennent de l'aberration, de la faute de négligence. La perte d'un enfant est intolérable et impensable.                                                                                                                Plongé dans mon propre cauchemar, intolérable et impensable, j'ai appréhendé la mort d'Owen dans sa banalité et son ampleur cosmique, tout à la fois perturbation de l'univers et simple ondulation dans le cours de la vie quotidienne. À part cela, tout m'échappait. Je ne parvenais à comprendre ce qui s'était passé le jour de sa mort. Je ne pouvais saisir comment un fait extraordinaire pouvait si soudainement bouleverser des existences ordinaires. Je n'arrivais pas non plus à imaginer ce qui nous attendait à présent ce qui allait se jouer entre mon épouse, Alison, et moi. Il nous fallait trouver un moyen d'aller de l'avant, avec Owen et avec notre fils Julian, qui portait le deuil de son frère et celui de ses parents tels qu'il les avait jusqu'alors connus." 

 

Deux jours après l'accident, je me suis mis à écrire au sujet d'Owen et de notre vie sans lui. Cela s'est fait presque à mon insu. Un matin, sans l'avoir prévu, je me mis à chroniquer ce que j'observais en moi et autour de moi : les changements incessants de mon humeur, nos gestes à la maison et ceux qui devenaient impossibles, ce que nous disions et ne pouvions exprimer, et aussi ce que les gens qui nous entouraient disaient et ne pouvaient exprimer. J'écrivais à tout bout de chant, saisi par une graphomanie qui m'a laissé perplexe jusqu'au jour où une mère endeuillée me fit remarquer que si nous dénommons orphelins ceux qui ont perdu un parent, nous n'avons aucun mot pour désigner ceux qui ont perdu un enfant. C'était donc pour pallier l'absence d'un mot que j'écrivais. Voilà ce que je me disais à l'époque.                                                Mais encore.                                                                                                                                J'écrivais pour comprendre comment, avec les meilleurs intentions du monde, on se retrouve dans une situation catastrophique.                                                                                              J'écrivais pour combattre l'idée que personne, pas même Alison ou Julian ou moi, ne pouvait imaginer ce que nous éprouvions.                                                                                                J'écrivais parce que tout le désastre banal et cosmique réclame un récit, une histoire, tant pour les morts que pour les vivants. Lorsque le fils de Hester Thrale mourut à l'âge de neuf ans en 1776, son ami Samuel Johnson écrivit à la mère : " Je sais qu'une telle perte constitue une lacération de l'esprit. Je sais qu'elle emporte d'un coup tout un système d'espoirs, de desseins et d'attentes, ne laissant rien d'autre qu'une vacuité sans fond. Lorsque Alison et moi avons perdu notre fils de huit ans, une connaissance nous expliqua qu'il n'y a rien de pire que la mort d'un enfant, et pareille mort est, comme vous le savez bien sûr, une histoire d'épouvante pour tous ceux qui en entendent parler."

 

"Je notais  mes pensées sur des bouts de papier que j'enfonçais dans mes poches. Cette écriture obsessionnelle me donnait parfois l'impression de devenir un voyeur, de scruter nos existences en perdition. Et puis, la douleur privée se transforme trop facilement en spectacle, même si elle n'est pas partagée. J'étais certain que, discret et rebelle comme il l'était, Owen n'aurait permis à personne de faire son portrait, pas même à son père. D'ailleurs, comment saisir l'intimité d'un être que j'avais mis au monde sans pour autant pleinement le connaître ? Nous élevons nos enfants avec la conviction de les connaître. Or, tant de choses nous échappent. Le fait d'écrire sur Owen me donnait l'impression de lui faire offense. Il ne s'agissait pas d'une seconde mort, ces mots sont très forts ( même si j'ai pu les entendre en moi), mais plutôt de la confiscation, de l'aplatissement d'une existence. Cela m'a paru inadéquat et injuste.                            Écrire, toutefois, s'avérait moins inadéquat et moins injuste que le silence. J'ai donc continué de noircir du papier. J'écrivais afin d'expier, de rendre hommage, de ramener à la mémoire. Il se peut qu'un jour quelqu'un s'intéressera à l'existence de cet enfant, Julian peut-être, quand il aurait atteint l'âge adulte ou un ami d'Owen ou encore un inconnu qui aurait entendu l'histoire de ce garçon de New York noyé dans la Green et se demanderait ce qu'il s'était passé, pourquoi cet enfant était-il mort, que pouvait signifier cette mort, et aussi qui était ce garçon, quelle vie avait-il vécue. Tout cela était imaginable, mais, comme je ne pouvais être certain, il m'incombait de rassembler moi-même les reste épars de cette vie et de cette mort.                                        J'écrivais afin qu'Owen sache que j'avais essayé de comprendre. J'écrivais afin qu'il ne soit pas seul. Alison me demandait si ce n'était pas plutôt le contraire : n'était-ce pas afin de me sentir moins seul ? J'écrivais afin de m'assurer que j'existais encore, que je n'avais pas disparu à mon tour dans une rivière. J'écrivais afin de cesser d'errer dans les rues. J'écrivais afin de ne pas devoir vivre à tout moment. J'écrivais pour Alison et pour Julian, pour laisser des traces d'Alison et de Julian, pour laisser des traces à l'intention d'Alison et de Julian. En écrivant, j'avais parfois l'impression de me retirer du monde, de m'éloigner de ceux que j'aimais. L'écriture et la vie quotidienne devenaient des domaines distincts, entre lesquels je circulais sans exister pleinement ni dans l'un ni dans l'autre."  

 

 

                  

 

tionns

Commenter cet article

Archives

À propos

Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.