Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.

08 Dec

Son fils de Justine Levy

Publié par Sansfin

Son fils de Justine Levy

Des vagues de mots qui s'écorchent les unes aux autres et qui font écho à la chanson de Saez " les fils d'Artaud."

 

Justine Lévy raconte le journal imaginaire d'Euphrasie Artaud, la mère d'Antonin. Elle se met dans la peau d'une mère protectrice, intrusive, excessive, possessive qui vit à travers son fils. Le récit commence en 1920 sur l'émancipation d'Antonin puis ses voyages, ses envolées artistiques, ses relations intimes, son internement, ses relations avec des artistes jusqu'en 1948 l'année de sa mort.                                                                                                                                Euphrasie fait battre le spleen d'Antonin là où est né le génie. On ressent la sensibilité exacerbée du poète où son inspiration attise l'incendie. Elle est omniprésente, son inquiétude est démesurée avec Antonin qui cherche à fuir leur relation destructrice. C'est la fiction qui se lie à la réalité, c'est la folie des désirs, ce sont des morceaux de larmes dans un état toujours fiévreux. Euphrasie oscille entre le bien et le mal, elle ne se cache pas derrière l'étrangeté de ce qu'elle ressent, de ce qu'elle ne contrôle pas.                                                                                              C'est une histoire haletante où le souffle est au bord de l'implosion. Euphrasie se noie sans cesse entre les crises de colère et les rechutes d'Antonin. C'est une immersion dans le monde psychiatrique où chaque page qui se tourne est un électrochoc. On est émue par cette voix tremblante remplie de culpabilité, de contractions où le temps brise l'espoir.

Antonin a des pensées, des visions qui fécondent à la seconde, des fragments d'états d'âme comme des lames de rasoir. Il se nourrit de la fragilité de ce monde mais se sent inadapté à y vivre. 

 

Une biographie romancée qui interroge sur la maternité, sur le rôle de la mère, sur les liens filiaux. C'est le portrait de deux solitudes qui cherche à s'arracher de la noirceur.

 

Justine Levy exulte avec une écriture brûlante, déchirante, incandescente. 

 

Un roman poignant qui fait jaillir les maux comme une morsure dans le ventre. Un gros coup de coeur à lire d'urgence. On tombe amoureux de cette histoire lyrique à la forme vertigineuse.

 

"Je tombe.
Je tombe mais je n'ai pas peur.

Je rends ma peur dans le bruit de la rage, dans un solennel barrissement." Antonin Artaud

 

 

Extraits du roman:

 

1920

 

" Et voilà, Antonin est parti. Marseille-Paris, en train, ce matin. Son père l'a accompagné : un tel départ, une installation pareille, ça ne s'improvise pas. J'ai pleuré, bien sur. À vingt-trois ans et demi, un petit garçon reste un petit garçon. Son sourire confiant par la fenêtre du wagon. Il me faisait au revoir au revoir en agitant ses souliers qu'il avait ôtés pour être plus à l'aise et peut-être pour me faire rire, il avait l'air content. Il a tant de choses à découvrir mon Nanaqui, à accomplir, un destin. Je lui ai caché mes larmes, je veux lui laisser croire que tout se passera bien."

 

 

" Une fois, Antonin m'a dit qu'il était enterré dans son corps. C'est bizarre comme mots, mais c'est les siens. Enterré dans son corps qui le torture à chaque instant de la vie, voilà exactement ce qu'il a dit, je l'ai tout de suite noté sur mon carnet, je suis sûre de ne pas m'être trompée. Il n'y a qu'à le voir, tourmenté, dévoré, supplicié, obligé depuis l'adolescence de se droguer pour faire passer le corps au deuxième plan. Comme moi, au fond. Toutes ces bonnes femmes me relèguent au second plan. Elles ont tort. Car la seule qui lui ressemble, c'est moi. Mais je ne vais pas me laisser faire. Ah non! Si elles croient que ça va passer comme ça! Non. Ah, mon Dieu, non."

 

 

"Ce n'est pas juste une question d'allure, mais Antonin c'est autre chose que ces margoulins ! C'est un être exceptionnel, un intellectuel , un acteur de cinéma, un garçon complet promis à un avenir glorieux. Il a simplement besoin que je le retrouve et que je reprenne un peu la main. Il n'est qu'un enfant, un enfant vieilli trop vite, avec des pensées qui ne sont pas de son âge. Il a toujours été au-dessus des autres, des contingences matérielles, des traîne-savates qui font commerce de leur souffrance, des faux écrivains, des acteurs arrivistes, heureusement que je suis là, je vais le retrouver, je ne veux plus le laisser, il y a des enfants qui ne grandissent pas, jamais, ce sont des poètes, mon fils est un poète, mon fils ne sait pas faire la cuisine, mon fils ne sait pas quand il a faim, quand il faut dormir, quand il fait froid, mon fils a besoin de moi, voilà. Je veux le retrouver pour adoucir ses journées, comme avant. Les lui rendre faciles, pour qu'il puisse se consacrer à son travail. Il n'a pas besoin d'aller chercher je ne sais quelle grue. Et ses douleurs ? Où il en est avec ses douleurs ?"

 

 

"Aujourd'hui encore, j'ai arpenté le quartier, j'ai parlé à des gens dont le visage me disait quelque chose, mais qui ont dû me prendre pour une folle. Ce que je suis. Folle d'inquiétude. A-t-on idée de laisser sa mère autant de tant temps sans nouvelles ? Pas même un télégramme, pas un pneumatique, pas un signe, rien. Où est-il ? Mange-t-il ? Il a toujours été si gourmand. Où est donc passé mon Nanaqui ? Un an et demi maintenant, presque deux ans, que je cours les hôpitaux, les bars louches, les hôtels, les chambres de filles où il pourrait passer une nuit ou deux, mais pas d'Antonin, nulle part. J'en meurs. Je meurs. Jamais, quand Antoine-Roi partait en mer, pour ses longs voyages, ça ne m'a fait un tel effet. "

 

 

"J'ai reçu une lettre de Ville-Évrard ce matin, m'indiquant qu'Antonin ne voulait " plus recevoir personne". Je ne lui en veux pas. Je le comprends. C'est le seul pouvoir de décision qui lui reste. Ils lui ont tout pris. Tout. Ses dernières dents. Son appétit. Ses amis. Ses lettres, qu'ils l'empêchent d'envoyer. Décider qui voir ou ne pas voir, c'est sa manière à lui de continuer à être un homme. Je ne lui en veux pas. Non. Mais je vais venir quand même."

 

 

" Cette autre lettre. C'est moi qui la lui ai prise; sans qu'il s'en aperçoive, dans son dos. À qui la destinait-il ? Je n'en sais rien. " Chaque nuit mon lit est amené dans un centre initiatique !!! différent et j'y subis quelques mutilations de plus et me réveille chaque matin un peu plus asphyxié et titubant avec des grappes de femmes suspendues à mon cou, à ma tête, à mon ventre, à mes membres, et des légions de démons enfants et femmes qui déferlent sur moi en ondes et par courants. Peut-être réussirez-vous à trouver ce qu'il me faut pour que les démons se taisent."

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article

Archives

À propos

Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.