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Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.

02 Apr

Otages de Nina Bouraoui

Publié par Sansfin

Otages de Nina Bouraoui

Sylvie Meyer ne soupçonne pas la violence enfouie à l'intérieur, elle a appris à vivre avec. Elle se donne dans le travail et pour les autres comme un instinct de survie pour ne pas perdre le sens de la vie. Le silence a enfermé la violence, le silence l'a persuadé que les événements qu'elle a vécus plus jeune n'avaient jamais existé. Et puis, il suffit d'un mot, d'une chose, d'un détail pour que tout resurgisse, que l'inconscience exhume la conscience.

 

 

Nina Bouraoui se met dans la peau de Sylvie Meyer, une femme de cinquante-trois ans, mère de deux enfants et séparée de son mari depuis un an. Elle travaille dans une usine de caoutchouc à la Cagex depuis vingt et un an très investie, elle a le sens de l'effort et l'envie de bien faire pour avancer.                                                                                                                                          Elle va devoir faire face à l'ambivalence de son patron Victor Andrieu qui l'a remplis de louanges d'un côté et de l'autre cherche à avoir une emprise sur elle. Sylvie incarne l'intégrité, elle a des convictions sur les valeurs humaines, sur sa façon de travailler. Son patron lui dit qu'ensemble ils vont pouvoir construire de belles choses, que la confiance est un atout.

C'est insidieux la manipulation psychologique, au début, Sylvie ne l'entend pas, c'est imperceptible, elle n'entend pas l'exigence qui grandit chez son patron. Il tient le fil de leur relation, de leur collaboration, du pouvoir invisible qu'il offre à Sylvie. Les paroles démesurées, menaçantes et instables se fondent dans les belles paroles qui l'attendrissent, elles sont comme des bulles qui éclatent et se diffusent.                                                                                              Sylvie perd le contrôle de ses propres besoins, de ses limites, de l'image qu'elle renvoie.Et puis elle finit par s'interroger sur le poids des mots de Victor Andrieu, elle prend du recul, il y a comme un mal-être qui brise les images du passé. La violence déferle au milieu d'une vie en mouvement. La fragilité creuse le vide au milieu du silence qu'elle entretient avec ses proches. Le silence est une violence. Le silence emprisonne. Elle se noie dans la spirale de doutes et de peurs permanente et prend conscience que son confort est devenu inconfortable. Elle est oppressée de ce rapport de forces que lui fait subir son patron.                                                    Combien de temps la colère peut-elle nous tenir silencieux ? Combien de temps la peur de dire non emprisonne la vie ?

 

 

L'écriture de Nina Bouraoui est à fleur de peau, c'est magnétique, subtil, on a le cœur à vif de lire la morsure sous la peau de Sylvie Meyer. Nina Bouraoui dépeint le portrait d'une femme courageuse, solide et admirable. Sylvie est bouleversante, attachante, on aimerait la prendre dans nos bras pour l'empêcher de noyer l'espoir.

 

Un sublime roman social qui met en lumière la violence et la manipulation psychologique dans le monde du travail et ailleurs, la violence intérieure, la quête de la liberté, les ombres de ce qui nous entoure, l'injustice qui perdure. Un roman coup de poing adressé au monde politique parce que les données du système doivent changer pour que ceux qui souffrent de ne pas être entendus soit enfin protégés et pour éviter que cela recommence.

 

Ne manquez pas la pépite littéraire de Nina Bouraoui comme toujours.

 

 

 

 

Extraits du roman :

 

 

 

"Je ne connais pas la violence et je n'ai reçu aucun enseignement de la violence, ni gifle, ni coup de ceinture, ni insulte, rien. La violence que l'on porte en soi et que l'on réplique sur l'autre, sur les autres, celle-là aussi m'est étrangère.                                                                                    C'est une chance, une grande chance. Nous sommes peu dans ce cas, j'en suis consciente. Je connais bien sûr la violence du monde, mais elle n'entre pas sous ma peau.                                  J'ai des poches de résistance ; je suis faite ainsi : je sépare. Rien de mauvais ne peut me contaminer. J'ai bâti un château à l'intérieur de moi. J'en connais toutes les chambres et toutes les portes. Je sais fermer quand il faut fermer, ouvrir quand il faut ouvrir. Cela fonctionne bien. La joie se construit. Elle n'arrive pas par miracle. La joie, c'est les mains dans la terre, la vase, la glaise, c'est là que l'on peut l'attraper, la capturer.                                                                            J'ai cherché la joie comme une folle, parfois je l'ai trouvée et puis elle s'est envolée tel un oiseau, alors j'ai fait avec, j'ai continué, sans trop me plaindre ou si peu.                                      C'est encombrant la plainte, pour soi, pour les autres. C'est vulgaire aussi et ça prend du temps. Mon temps me semble compté, précieux. Je me sens si souvent emportée, bousculée, moi qui aimerais parfois regarder le ciel et les nuages qui passent, m'allonger dans les bois, fermer les yeux, sentir le feu de la terre."

 

 

"Ce jour-là, quand mon mari m'a annoncé qu'il s'en allait, je n'ai pas pleuré. C'était une nouvelle comme une autre que j'aurais pu intégrer aux nouvelles du jour : la courbe du chômage, le réchauffement climatique, la hausse des prix, la guerre. C'était à la fois important et pas du tout important. Cela faisait partie des affaires générales et non de mon intimité. C'était ça le plus étrange. Mon mari me quittait et j'avais l'impression qu'il quittait une autre femme. Je ne me suis pas sentie concernée ou si peu. Ce n'était pas vraiment lui et ce n'était pas vraiment moi. Il partait, mais le mur, lui, restait. Et je ne l'ai pas vu partir. C'était juste une phrase, comme ça, à l'exemple de : pense à acheter du pain, à payer la note EDF, à récupérer le pressing. Le langage n'est rien quand on ne veut pas comprendre. Les mots deviennent aussi légers que des bulles de savon qui s'envolent puis éclatent."

 

 

"Les petites phrases de Victor Andrieu résonnaient comme le refrain d'une chanson. Au début, je n'y ai pas prêté attention. Je connaissais par cœur sa façon de faire, de resserrer l'étau. Ce n'était plus un patron, mais un artisan de la cruauté. Il avait du talent pou ça. Il n'était pas question pour moi de choisir un camp. Je veillais au bon fonctionnement de la Cagex tout en restant sous l'autorité de mon patron, comme l'ombre du corps de mon mari qui restait sous le poids de mon corps la nuit. Je respectais les hiérarchies."

 

 

 

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