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Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.

04 Aug

Un certain Paul Darrigrand / Dîner à Montréal de Philippe Besson

Publié par Sansfin

Un certain Paul Darrigrand / Dîner à Montréal de Philippe Besson
Un certain Paul Darrigrand / Dîner à Montréal de Philippe Besson

L'amour désinhibe l'être que nous sommes. Nous apprenons dans nos histoires, la valeur de toutes nos vies empilées comme des livres dans notre mémoire. On avance, on recule, on ose, on n'ose pas, on tombe, on se relève. On assouvit ses envies, ses désirs, on réalise ses rêves pour créer de l'épanouissement, de l'équilibre. Et on finit par se rendre compte qu'inconsciemment on a toujours continué d'avancer malgré les événements.

Philippe Besson explore la vérité de l'intimité, sa rencontre avec Paul Darrigrand, leurs émois qui vont occuper toutes ses pensées et sa santé qui flanche au même moment où le plaisir enveloppait son existence. Philippe Besson met à nu de nouveau un amour de jeunesse. Il évoque la complexité du désir face à la folie des sentiments. Et puis les choix, le cœur qui a ses raisons, les limites de chacun, les risques qu'on emprunte parfois pour toucher la légèreté sans penser qu'on peut se brûler les ailes à tout instant.

Il dépeint la beauté des sentiments, la folie des corps, l'amour clandestin et puis la peur de la maladie, de cette chose qui peut ronger à l'intérieur et vous ensevelir. Le romancier oscille entre le plaisir, l'insouciance et la pleine conscience, la souffrance. Il parle de la pudeur de sa sensibilité quand Paul Darrigrand s'exprime par des sous-entendus, des messages subliminaux et que Philippe cherche à tout interpréter pour comprendre ce qu'il ressent pour lui. Il y a la force de l'écriture, la force mentale qui soutient l'écrivain dans ces moments où il a l'impression que tout peut se perdre du jour au lendemain.

Ce roman se compose comme la bobine d'une vie qui se déroule, on est captivé par chaque mot, chaque émotion, chaque événement. Il se cache toujours des frissons quand la mémoire redonne vie aux précieux souvenirs. On ne connaît jamais la couleur du temps et des événements qui passent, mais tout arrive quand on l'attend le moins. Et puis regarder en arrière n'est pas une fragilité, quand on repense aux instants où on a ressenti la fièvre, l'amour battre dans l'âme et le corps, on se dit que ça aurait pu ne jamais exister. L'amour porte l'énergie de toute une vie. Il y a des choses qu'on enfouit parce que le présent nous éclaire suffisamment.                                                                                                                                                                L'écriture de Philippe Besson est brut, laconique et juste, une émotion infinie déborde à chaque fois qu'on tourne les pages, on est admiratif de son talent, tatoué de cette tendre fragilité où l'on se sent compris. De la très grande littérature à ne pas manquer comme toujours.

 

Extraits :

 

"La photo, je ne la cherchais pas. Je suis tombé dessus par hasard, parce que je m'apprêtais à déménager et que j'avais entrepris de me débarrasser de ces choses qu'on entasse dans des armoires, sur des étagères, sans jamais plus y revenir, qu'on conserve tout simplement parce que, sur le moment, on répugne à les jeter.                                                                                Pour être parfaitement honnête, j'en avais presque oublié l'existence. Vous savez : le temps qui passe, la mémoire qui fait ses choix. Bien sûr, quand je l'ai tenue entre les mains, j'ai tout reconnu,tout, instantanément : le lieu, la saison, l'époque ; et les deux garçons.                            Je n'ai pas eu besoin de faire d'effort. Je n'ai pas eu d'hésitation. J'ai d'abord été troublé puisque c'est toujours un peu étrange, n'est-ce pas, la résurgence imprévue, en rien préméditée, de souvenirs enfouis, d'épisodes occultés de nos vies. Étrange aussi d'être renvoyé à sa jeunesse quand on ne s'y attend pas, de se voir redonner l'image de ce qu'on est plus. Troublé, c'est ça. Sans être fichu de savoir s'il s'agissait d'un trouble agréable ou déplaisant."

 

 

"Non, la seule question qui vaille, c'est : a-t-elle été prise avant ou après la première nuit avec Paul ?                                                                                                                                              Quand je scrute l'expression de nos visages, je ne peux établir aucune certitude. Nous n'avons pas l'air joyeux, ce qui tendrait à me faire pencher pour « avant ». Cela étant, nous sommes transis de froid et personne ne sourit dans les grands froids, on a hâte que ça se termine. Toutefois, ça peut aussi bien être « après », car d'emblée nous avons su qu'il nous fallait ne rien laisser paraître. Nous sommes peut-être en train de jouer la comédie, de mimer l'ennui ou l'indifférence alors que nous nous consumons au-dedans."

 

 

"Quand j'écris « l'histoire vient de commencer », ce n'est pas seulement parce que je connais la suite,non. Je l'écris parce qu'à l'instant précis où il se présente, où il décline son identité, où j'entends sa voix pour la première fois, je le sais."

 

 

"Dans plusieurs de mes livres, plus tard, je raconterai des rencontres de ce genre : le type qui se plante là, face à l'autre, et lui balance, l'air de rien, son désir, le type qui emploie des mots presque ordinaires tout en sachant que celui à qui il les destine entendra tous les sous-entendus. Je raconterai ces fulgurances, ces immédiatetés, la nécessité implacable. On y décèlera quelque fois un procédé romanesque, une facilité, on m'objectera que ça n'existe pas, dans la vraie vie, pareille brutalité et moi, je ne répondrai pas à l'objection, je me contenterai de me souvenir de Paul Darrigrand, ce jour là de l'automne 1988. J'aurai un léger sourire."

 

 

 

 

La suite du roman "Un certain Paul Darrigrand" prend forme lors d'un dîner de retrouvailles entre deux couples, Paul et Isabelle ensemble depuis leur jeunesse et Philippe et Antoine depuis quelques mois. Philippe et Paul ont vécu une histoire passionnelle, clandestine étant jeunes, dévorés par le désir, ils se sont quittés sans explication. Dix-huit ans après, Paul rentre dans une librairie pour se faire dédicacer le dernier roman de Philippe, il y a le sursaut intérieur, un échange et puis l'envie de poursuivre la conversation ailleurs, de dire les choses enfouies, de raviver ce qu'ils ont vécu. Qu'est- ce que cette surprenante rencontre va provoquer chez eux ? Sont-ils restés les mêmes malgré le temps qui a passé? Quelles sont leurs interrogations ? Qu'est-ce ce qui les anime aujourd'hui ? Deux couples qui se retrouvent autour d'un dîner pour briser les années de silence, les morsures du passé.

On passe de la lumière à l'ombre, du chaud au froid, des couleurs au noir et blanc. On ressent avec eux ces états d'âme qui bouleversent. Leurs retrouvailles c'est comme une œuvre d'art, un film qu'on aimerait revoir pour comprendre, un tableau abstrait où il y a tant de questions, une photographie qui réveille ce qui a existé.

Un dîner où les mots remontent à la surface, provoquent des émotions, blessent, asphyxient, rassurent. Les pensées donnent de la voix et la symphonie des coeurs perd la mesure. Ils cherchent l'équilibre, rien n'est linéaire, les répliques sont des bombes à retardement qui sont lancées. Ils veulent comprendre la vérité, ne plus interpréter, ne plus subir. On est emportée dans cet élan fou des émotions, on voudrait pouvoir faire une pause, pour reprendre son souffle mais ils ont besoin de combler les vides, ne rien laisser en suspens, contrôler le temps pour ne rien oublier de l'essentiel.

Les sujets de conversations sont multiples, il y a les romans de Philippe, les voyages, le parcours de chacun, les souvenirs, les choix et puis tous les sous-entendus, les mots à double sens. On ressent le désir qui plane, les regrets, les remords, les blessures. C'est un huis clos risqué, à double tranchant.

Une écriture maîtrisée et brûlante. Philippe Besson explore l'intime avec justesse, les histoires périlleuses, la tristesse de l'incompréhension, de l'absence, c'est un suspense insoutenable.

Les mécaniques du cœur se confrontent, ne manquer pas leurs implosions. De la très belle littérature comme toujours.

 

 

Extraits du roman :

 

"C'est dans cette librairie, ce soir-là, qu'a lieu la réapparition de Paul. C'est là qu'il demande si je lui en ai voulu. Pour quoi, d'ailleurs, lui en aurais-je voulu ? Pour la violence de la rupture ? Pour la lâcheté ? Pour la tristesse qui s'est ensuivie ? Ou parce que nous sommes peut-être passés à côté d'une belle histoire ? Il ne précise pas. Je ne l'interroge pas. ( Pourtant, ce n'est pas du tout pareil, un regret et un remords, c'est même si différent que, dans cette différence, on peut loger une vie ratée.) Je préfère répondre non. Non, je ne t'en ai pas voulu. Parce qu'il y a des gens qui font la queue derrière lui. Parce que ça ne lui fera pas de mal, ce non, et qu'il a besoin de ne pas avoir mal. Non. Et je souris. Pour démontrer que tout ça, au fond, n'a plus d'importance. Mais il ne sourit pas en retour. Lui s'en est voulu. Voilà."

 

"La serveuse vient ajouter une distraction en nous apportant les plats commandés. Chacun d'entre nous se voit réduit au mutisme par l'obligation de plonger dans son assiette. J'en profite pour évaluer les forces en présence.

 

Isabelle ? A l'évidence, elle souhaite éviter les sujets sensibles, s'en tenir à une mondanité de bon aloi, est prête à évoquer nos vies d'aujourd'hui mais n'entend pas remuer un passé qu'elle estime révolu, elle surjoue la décontraction mais ne peut s'empêcher de se crisper lorsque nous flirtons avec la ligne jaune. Je ne lui reproche pas son attitude. A sa place, sans doute agirais-je de la même manière. Mais du coup, je me demande pourquoi elle a accepté pareille confrontation : il lui suffisait de dire non, non je ne veux pas y aller. Son mari s'est-il montré insistant ? A-t-elle pensé que je la jugerais mal élevée ou peu sûre d'elle, si elle refusait le face à face ? Ou a-t-elle estimé qu'il lui fallait en passer par là afin de solder les comptes, de se débarrasser une bonne fois pour toutes des fantômes qui tournoieraient autour d'eux ?

 

Paul ?

Il me surprend. Il me surprend parce que l'introspection n'était pas son genre, parce que courir le risque de heurter frontalement son épouse ne lui ressemble pas, parce que je l'imaginais uniquement concentré sur le présent et l'avenir. Et je découvre qu'il ne s'est pas défait totalement de ce qui nous a rapprochés un jour et qu'il éprouve le besoin de parler. Ce faisant, au fond, il est cohérent avec la démarche qu'il a entreprise en se présentant devant moi, nu et désarmé, dans la librairie un peu plus tôt dans la journée.

 

Antoine ?

On pourrait croire qu'il est intimidé, que ces adultes établis l'impressionnent. Croire aussi que cette nostalgie l'indiffère, que cette conversation l'ennuie. Mais il n'en est rien. Il assiste à un spectacle. Du reste, il l'avait pressenti dès l'annonce du dîner : se trouver aux premières loges pour être divertissant.

 

Et moi ?

Moi je navigue à vue, entre des contradictions. Ne voulant pas blesser Isabelle qui a raison de répugner à un déballage intime, ni Antoine qui n'est pas une quantité négligeable, mais désireux d'entendre Paul pour comprendre ce qui reste de nous. Condamné à être frustré si on s'en tient à des choses superficielles, mais inquiet à l'idée de la direction que prendront ces retrouvailles si nous creusons trop profondément. Incapable d'orienter la discussion alors que je suis celui qu'on interroge."

 

" Me reviennent alors les instants de 1989, quand l'amour était occulte, quand notre jeunesse nous offrait un sauf conduit, quand l'inconscience nous guidait, quand les étreintes était ce qui importait le plus, quand les possibles l'emportaient sur les devoirs ; tout était plus simple, même si nous dansions au bord d'un abîme."

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