Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.

11 May

La légende de nos pères de Sorj Chalandon

Publié par Sansfin

La légende de nos pères de Sorj Chalandon

Elle est exacerbée la sensibilité de Sorj Chalandon dans sa voix et sur son visage. Sa littérature transpire une mélancolie contagieuse, des mots fragmentaient qui émeut et écorche le lecteur. L'auteur est biographe dans le roman, après la mort de son père, il doit écrire l'histoire de Beubazoc, un ancien soldat avec l'aide de sa fille Lupuline. Il va suivre la trace de cet homme en espérant retrouver un peu de son père, le résistant, le combattant, pour entendre son écho, suivre l'élan de ses pas et ressentir la morsure qu'il avait sur le ventre. Un roman sur les blessures de la guerre, l'absence, le manque qui donne des résonances aux failles et que l'écrivain nomme si bien : "la maladie du chagrin". La frontière entre les parents et les enfants, c'est la pudeur et il arrive que parfois on la regrette. Il y a la vérité et le mensonge qui se confondent. Une écriture à fleur de peau , acérée et subtile. Sorj Chalandon sonde merveilleusement bien le nerf de la guerre et les images qui broient du noir. L'auteur joue avec les mots comme un musicien avec son instrument. Un coup de cœur. Du très grand Sorj Chalandon. À lire absolument

 

Extraits du roman :

 

" On fait son deuil. C'est effroyable, mais on le fait. Après avoir été au loin, au plus profond, creusé par l'absence et le silence, sans air, sans lumière, sans souffle, sans pensée, sans rêve, sans voix, après avoir perdu la faim, la foi, les nuits, après avoir tremblé à l'infini, après avoir eu froid de tous ces jours sans l'autre, tous ces gestes sans l'autre, après avoir traversé les fêtes maudites, les saisons détestables, après tant de matins pour rien, on défroisse le linceul qui nous couvrait aussi. On caresse l'étoffe, on la regarde encore, on la plie avec soin, on la range dans un coin de sa vie en attendant la suite. On fait son deuil, mais on ne revient pas d'un rendez-vous manqué.
J'avais laissé partir mon père. Pas mon papa. Pas celui qui me portait au lit, sa joue contre la mienne, qui nous avait aimés du regard et de la peau. Mais mon père, l'autre. Ce héros sans lumière, ce résistant, ce brave, ce combattant dans son coin d'ombre. J'avais laissé partir cet inconnu, ce soldat, ce déporté. Qui était retourné à la liberté comme on va au silence. J'avais laissé partir une page de notre histoire commune. J'avais oublié de m'asseoir à ses pieds, de rechercher ses yeux. J'avais tardé à l'assaillir, à le questionner, à moissonner sa mémoire. J'avais failli à mon métier de fils. J'étais devant la tombe et j'avais les mains vides de lui, les poches sans aucun ticket de notre vie à deux."

 

"J'ai parlé de son regarde myope. De son corps frêle et cassant. De sa voix. J 'ai parlé de ces costumes ternes, de ses gestes murmurés. J'ai parlé de tous ces gens qui ne s'étaient jamais doutés de sa vaillance. Ni de son arrestation. Ni de sa déportation. C'était pour cela, peut-être, probablement, évidemment, que j'étais malhabile avec Beubazoc. Je partais sur les traces de son père comme si c'était le mien. Ce parallèle étouffant , ce double , cette envie de fierté pour un père comme pour l'autre. Je me suis emporté. "

 

" Il disait être un homme qui était revenu. Il avait deux enfants, mais j'ai cru longtemps qu'il en avait qu'un. Lucas était son grand préféré, son fils. Dix ans de différence entre nous et tout un monde aussi. Il parlait à Lucas, il jouait avec moi. A Lucas, il enseignait la vie. Il me faisait des ombres sur le mur en joignant ses deux mains. Je lisais sur ses lèvres. Lucas lisait dans ses yeux.Mon père lui a parlé de sa résistance. Il lui a raconté le combat, les risques ignorés, le plaisir et le jeu aussi. Parfois, nous jouions à la guerre disait-il en souriant. Il a parlé de vengeance, l'unité clandestine dont il faisait partie pendant la guerre, où l'on entrait, où l'on sortait, où l'on chuchotait, d'où l'on ne revenait jamais tout à fait. Un jour qu'il avait bu, il a dit à Lucas ce que c'était de tuer. Il n'a pas dit grand chose l'essentiel. Que ceux qui avaient tué se reconnaissaient entre eux. Qu'ils avaient le même regard de glace, le même pas dans la rue et une manière particulière de réclamer le silence."

Commenter cet article

Archives

À propos

Un blog où je vous fais partager mes chroniques littéraires, mes coups de coeur, j'essaie de mettre en lumière des romans, des livres qui semblent dans l'ombre. Je suis une amoureuse des mots assemblés, de ces personnages de romans que l'on croise, que l'on rencontre dans nos vies.Tous ces mots qui nous enveloppent sans cesse et que l'on n'ose pas dire, qu'on n' arrive pas à écrire, qu'on garde au fond de nous comme des larmes et qu'on retrouve dans les livres. Une page pour partager l'art littéraire, parce que l'art c'est ce qui nous fait respirer et qui nous sauve de tout.